Aurélie Lamant, doreuse ornemaniste
Partons à la découverte d’un art fascinant, qui vous irradie littéralement tant sa pratique est étincelante : la dorure. Cette pratique fait partie de ces métiers d’art qui nous captivent tous. Une jeune professionnelle a accepté de nous ouvrir les portes de son atelier parisien.
Aurélie Lamant, artisan doreuse, a été formée selon la tradition. Elle maîtrise les feuilles d’or et de métaux qu’elle applique sur tous supports, au grès de ses propres projets et ceux de ses clients. Restaurer un cadre pour un particulier, collaborer avec un artiste pour la création d’une oeuvre, décorer un hôtel particulier ou encore participer à l’élaboration d’un manuscrit enluminé, les travaux sont visiblement divers et variés.
Aurélie, comment la dorure est-elle arrivée dans votre vie ?
– Il y a 6 ans, lorsque j’ai commencé à travailler chez Sennelier*, j’ai découvert les feuilles d’or et le matériel utilisé par les doreurs. J’ai tout de suite été fascinée par ce métal si précieux qui demande tant de délicatesse et ce savoir-faire ancestral, gardé précieusement. Je me suis donc rendue chez un artisan doreur restaurateur antiquaire, à Beaune, pour en apprendre plus et … ce fut le coup de foudre !
* Magasin spécialisé de fournitures pour artistes. 3 quai Voltaire. 75007 Paris.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous passionne dans cette pratique ?
– Beaucoup de choses ! Je suis fascinée par ces petites feuilles de métal, plus légères qu’une plume, qu’on doit apprendre à apprivoiser et qui peuvent pourtant métamorphoser l’objet sur lequel elles se posent. Et puis dorer est un exercice particulier qui demande d’être extrêmement calme et détendu, alors à chaque fois que je pose des feuilles d’or j’ai l’impression que le temps s’arrête autour de moi. J’aime aussi le fait qu’il y ait un processus long et minutieux avant d’en arriver là. On m’a souvent reproché d’être trop minutieuse, mais dans ce métier, je peux donner libre cours à mon extrême minutie !
D’autre part, la dorure, c’est aussi la restauration et pour moi c’est à chaque fois un voyage dans le temps. Pouvoir toucher un objet qui a traversé les siècles, qui a parfois même côtoyé d’illustres personnages, et lui redonner de sa splendeur c’est merveilleux !
Comment devient-on Doreur professionnel ? Où et comment peut-on se former ?
– La majorité des futurs doreurs apprennent leur métier grâce à l’apprentissage. Il y a assez peu d’écoles qui forment les apprentis en France. La plus connue est l’école de « La Bonne Graine » à Paris*. Elle permet aussi aux personnes ayant dépassé l’âge d’être apprenti (26 ans), de bénéficier quand même de l’apprentissage grâce à une formation de reconversion. Au terme de cette formation, les apprentis passent les épreuves du CAP « doreur à la feuille ornemaniste ». Il existe également des contrats aidés qui permettent d’apprendre le métier directement chez un artisan. De manière générale il vaut mieux se méfier des cours privés qui promettent une excellente formation mais qui sont en réalité très onéreux pour des résultats qui ne sont pas toujours au rendez-vous. De plus, le monde de la dorure est un milieu très fermé dans lequel on doit apprendre à se faire connaitre. Il est donc important de passer par la case « apprentissage » chez des artisans, non seulement pour bénéficier de leur savoir mais également pour qu’ils puissent juger des qualités de leur apprenti et l’aider à se construire un réseau.
* École d’ameublement de Paris – La Bonne Graine – 200 Bis Boulevard Voltaire – 75011 Paris
Quelles qualités faut-il avoir pour être doreur ?
– De la patience, de la délicatesse et une grande minutie ! Et paradoxalement il faut aussi savoir travailler très rapidement mais avec beaucoup de précision.
Pour une icône, une enluminure ou une ornementation, le processus est-il le même ?
– Dans ces 3 cas, même si les supports sont assez différents, le processus va être relativement proche puisqu’il s’agit d’une dorure dite « à la détrempe » ou encore « à l’eau » qui fait appel à une technique ancestrale utilisant une assiette à dorer (sorte de pâte argileuse mélangée à de la colle de peau de lapin sur laquelle l’or va venir se coller). Seuls les apprêts vont varier un peu. Là où le processus diffère vraiment, c’est lorsque l’on veut dorer sur un support en verre, résine, métal, sur une toile peinte à l’huile ou à l’acrylique ou encore sur du papier… On doit alors utiliser des techniques de dorure plus modernes telles que la mixtion (grasse ou maigre) ou la gélatine.
Peut-on parler de spécialités au sein même de ce métier ?
– Au XVIIIe siècle, lorsque les doreurs travaillaient principalement sur du mobilier, il y avait effectivement des spécialités très distinctes : l’un apprêtait le support, le suivant reparait les ornements, celui d’après posait l’assiette… presque du travail à la chaine avant l’heure ! De nos jours le métier de doreur a beaucoup changé : il est rare de recevoir des commandes de fabrication de mobilier doré, le plus souvent il s’agit de restauration. Mais de nouveaux aspects du métier sont nés avec l’évolution des techniques, ainsi les doreurs sont très souvent amenés à travailler sur des chantiers de construction de villas, palaces, hôtels particuliers… ou pour venir restaurer les dorures des monuments nationaux. Il arrive également de plus en plus que des artistes (peintres, plasticiens, designers…) fassent appel à des doreurs pour inclure un travail de dorure sur leurs œuvres ou même pour la dorer entièrement.
Pour en revenir aux spécialités, le doreur d’aujourd’hui doit et apprend à être entièrement polyvalent mais il va de soi que certaines personnes sont plus douées pour certaines choses que pour d’autres et on retrouve donc plus ou moins des spécialisations au seins d’un même atelier ou d’une équipe, mais heureusement nul n’est obligé de se cantonner à une seule et même tâche durant toute sa carrière !
Voici ce que l’on trouve dans les magasins spécialisés : Mixtion grasse ou maigre / or véritable ou simili or / Feuilles libres ou adhérentes. Pouvez-vous nous guider dans ces choix ?
Tout d’abord le choix de la mixtion : La première question à vous poser est « sur quel support vais-je dorer ? ». La mixtion grasse étant, comme son nom l’indique, fabriquée à base d’huile, vous pourrez l’utiliser sur à peu près tous les supports à l’exception du papier, du parchemin ou tout autre supports trop absorbant pour elle, sur lequel vous risqueriez de voir apparaitre une belle tâche d’huile autour de votre dorure. La mixtion maigre (ou à l’eau) peut quant à elle être utilisée sur tous les supports, mais elle présente une qualité d’adhérence moins bonne que la mixtion à l’huile, ce qui fait qu’elle est plutôt à réserver aux supports qui ne peuvent pas recevoir d’huile ou à un travail qui ne risque pas d’être trop manipulé ou qui n’ira pas en extérieur.
Après cela, si vous ne savez pas encore quelle mixtion choisir voici quelques éléments qui pourront vous aider à faire votre choix :
La mixtion à l’huile est très odorante (prévoir une pièce ventilée) alors que la mixtion maigre ne l’est pas du tout. La mixtion à l’huile demande un temps de séchage préalable avant de passer à la pose de la feuille d’or. 3h, 12h, 24h…, selon ce qui est indiqué sur l’emballage de votre mixtion (ces temps sont donnés à titre indicatif et peuvent varier fortement en fonction de la température de la pièce et de l’hygrométrie, il est donc conseillé de rester à proximité de votre travail pour vérifier régulièrement son état de séchage). Le laps de temps pendant lequel vous pouvez poser la feuille d’or avant séchage complet de la mixtion dépend également de la mixtion que vous aurez choisie. La mixtion à l’eau, quant à elle, ne demande pas de gestion du temps de séchage pour la simple et bonne raison qu’elle ne sèche pas. En effet la mixtion une fois posée sur le support se transforme en une espèce de pellicule de « colle double-face ». On peut donc poser l’or tout de suite après avoir passé la mixtion ou attendre 24h ou plus avant d’attaquer la dorure.
Le choix de la feuille d’or : Si vous choisissez de l’or véritable, vous pouvez trouver un très grand choix de couleurs et de nuances. Vous seul saurez ce qui convient le mieux à l’idée que vous avez en tête. Une fois la couleur choisie vous pourrez opter pour une version « libre » ou « adhérente » (ou encore appelée « or collé »). La feuille libre est la plus classique, mais il faut disposer d’outils pour pouvoir l’utiliser : un cousin à dorer pour poser la feuille, un couteau pour la découper, une palette à dorer (sorte de pinceau large et très plat) pour prendre le morceau de feuille et la déposer sur le support et un appuyeux pour venir tapoter ou lisser la feuille posée.
La feuille adhérente ou collée est une feuille d’or qui a été posée sur un carré de papier de soie blanc et qui a subi une forte pression lors de la mise en carnets, de manière à ce qu’elle reste collée au papier de soie. Vous pouvez donc manipuler la feuille d’or avec vos propres mains en prenant garde de poser les doigts uniquement sur le papier de soie. Il vous suffit donc de venir appliquer la feuille d’or sur votre mixtion, d’appuyer au dos de la feuille pour s’assurer qu’elle adhère bien au support et de retirer ensuite le papier de soie. L’avantage de cette technique est qu’elle ne nécessite pas d’outils. Par contre, elle ne peut être utilisée que pour une dorure à la mixtion (et non avec une assiette à dorer ou une gélatine), la feuille d’or est moins brillante du fait de la pression subie lors de la mise en carnets et il faut prendre garde que la feuille de papier de soie ne vienne pas se coller à la mixtion ce qui risquerait de faire des traces très peu esthétiques.
Autre choix possible : la simili-feuille d’or, autrement dit feuille de cuivre jaune ou de laiton. Outre le fait d’être beaucoup moins cher, ces feuilles sont aussi beaucoup plus épaisses, ce qui permet de les prendre à la main sans outils particuliers (un pinceau doux pour lisser la feuille une fois posée est toujours le bienvenu). Leur inconvénient : à plus ou moins long terme, elles oxydent, ce qui veut dire qu’il vaut mieux vernir votre dorure (à moins que l’oxydation ne soit un effet recherché).
En termes de couleur, il existe en plus des feuilles d’or véritable, des feuilles de cuivre rouge ou d’aluminium, suffisamment épaisses pour les prendre à la main, mais aussi des feuilles d’argent ou de palladium (métal de couleur argentée qui n’oxyde pas contrairement à l’argent). Ces deux dernières devront être travaillés avec des outils comme pour la feuille d’or libre.
Que conseilleriez-vous à un débutant qui voudrait simplement ornementer sa peinture ?
– Si vous n’avez jamais utilisé de feuilles d’or avant, je vous conseille vivement de faire un essai au préalable sur un support similaire (papier, toile, avec le même type de peinture). L’idée de faire un test à la feuille de cuivre pour une dorure qui sera finalement à la feuille d’or n’est pas forcément bonne, dans le sens ou la feuille de cuivre réagit différemment du fait de son épaisseur bien plus importante. Mieux vaut sacrifier une feuille d’or et être sûr de son geste ensuite. Une chose qui a son importance aussi : quand vous dorez, respirez très lentement ou bien votre feuille va s’envoler ! Il est difficile de donner plus de conseils puisque chaque cas est différent. Par exemple si vous travaillez sur papier il est important de penser à passer un vernis (de préférence acrylique) avant votre mixtion maigre pour qu’elle ne soit pas absorbée par le papier. Si vous travaillez sur une toile, mettez votre toile à plat dans la mesure du possible pour éviter que la mixtion ne coule en séchant. Si vous travaillez avec une mixtion à l’huile, passez votre mixtion en couche très fine et étirez-la au maximum.
Ce ne sont que quelques exemples mais les cas sont multiples donc n’hésitez pas à vous rapprocher d’un professionnel si vous avez des doutes.
On parle de « brunir l’or », qu’est-ce que cela signifie ?
– Il s’agit d’une étape propre à la dorure traditionnelle à la détrempe. Brunir l’or c’est l’écraser, le polir avec un outil appelé le brunissoir (une pierre d’agate montée sur un manche en bois). Ceci a pour but de faire briller l’or. En contrepartie, les parties non brunies sont matées avec de la colle de peau de lapin pour accentuer le contraste entre les parties brunies et non brunies. Ainsi on va donner du relief à notre objet doré. Il n’est pas possible de brunir l’or posé avec une mixtion car le geste effectué ne ferait qu’arracher l’or. Cependant, il existe une technique de « simili-bruni » qui consiste à passer un vernis très brillant (type vernis flatting) sur les parties que l’on veut voir brunies, puis de passer la mixtion sur l’ensemble du support et de venir essuyer avec un chiffon doux, d’un geste rapide, les zones de brunis. On pose ensuite l’or et une fois sec, on verra apparaitre des zones ressemblant à de véritables brunis.
Peut-on se passer d’assiette à dorer ?
– L’assiette à dorer n’est indispensable que dans le cas d’une dorure traditionnelle à la détrempe. En plus d’aider l’or à se fixer, c’est elle qui permet à l’or de briller lorsqu’il est bruni et elle donne également une nuance de couleur à l’or selon la couleur d’assiette choisie. Il existe de nombreuses couleurs d’assiette dont les plus courantes sont le rouge, le jaune, le noir et le vert. Bien entendu, si vous voulez retrouver cette nuance de couleur en utilisant une mixtion, vous pouvez tout simplement peindre votre support de la couleur souhaiter avant de poser votre mixtion.
Quelle a été jusqu’à présent votre expérience la plus marquante ?
– Sans hésiter, les années passées à travailler au côté de l’artiste Gérard Garouste. Mettre la dorure au service de l’art n’est pas quelque chose qui plait à tout le monde, mais pour ma part, je trouve que c’est un très beau mariage et je continue, depuis, à travailler ponctuellement avec des artistes de tous horizons.
Une toute dernière question Aurélie, accepteriez-vous de nous parler de vos projets pour l’avenir ?
– Bien sûr ! Actuellement je fais principalement de la restauration, mais selon le support, j’ai deux approches différentes. Soit je travaille sur du mobilier ou de l’encadrement ancien, auquel cas je le restaure dans les règles de l’art pour lui redonner l’éclat de sa jeunesse ; soit je travaille sur des meubles « modernes » (XXème siècle) ou des reproductions modernes d’anciens mobiliers, souvent trouvés sur des brocantes ou récupérés in-extrémis avant qu’ils ne soient jetés. Dans ce cas, je m’applique à réparer ces meubles, et à leur redonner une seconde vie, parfois en les transformant totalement, mais toujours avec une petite touche de dorure quelque part. Je revends ensuite ces meubles sur différentes web-plateformes et, d’ici la rentrée, sur mon propre site internet*.
A l’avenir je compte étendre cette activité en m’entourant d’artisans spécialisés dans l’ameublement (tapissier, ébéniste, artiste peintre…). J’espère pouvoir ouvrir, d’ici environ 3 ans, une boutique-atelier dans laquelle les gens pourront venir trouver leur bonheur mais aussi amener un meuble qu’ils veulent faire restaurer, transformer, ou encore pour des fabrications sur mesure. Mais je compte bien sûr ménager du temps pour continuer à travailler avec des artistes et des designers tel que je le fais aujourd’hui. J’ai aussi un autre projet qui devrait bientôt voir le jour : il s’agit d’une ligne de mobilier et d’objets inspirés des anciens cabinets de curiosité. Mais je n’en dis pas plus pour l’instant et vous donne rendez-vous sur www.lilyoddities.fr
Pour contacter Aurélie Lamant ou suivre ses travaux :
Mail : aurelie.lamant@free.fr
Site web : www.aurelie-lamant.fr – www.lilyoddities.fr
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Superbe interview, bravo !!!
Bonjour,
c’est possible d’avoir plus d’explication sur la technique de “simili-bruni” ça m’intéresse vraiment de tester cette technique.
je refait la dorure sur un miroir très abîmer et j’aime bien avoir des partie bien brillante.
tout les autre article que j’ai vu dise que c’est pas possible d’avoir des partie brillante avec une dorure par mixtion.
Merci
Bonjour, je vous invite à contacter Aurélie Lamant directement. Merci à vous