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Quant l’art est au service de la liberté

Afin d’illustrer l’importance du rôle de l’artiste dans la société, rien de plus emblématique que l’oeuvre d’Eugène Delacroix : La Liberté guidant le peuple, réalisée en 1830. L’universalité de cette oeuvre n’est plus à contester. Mais la connaissez-vous réellement ?

L’événement historique

Lors des 27, 28 et 29 juillet 1830 à Paris, une révolution populaire menée par les républicains renverse le dernier roi de France Charles X, pour non respect de la constitution acquise à la révolution de 1789. Notamment la suppression de la liberté de la presse. C’est Louis-Philippe, duc d’Orléans qui lui succédera. Ces trois journées sont sanglantes, mais sont une réussite sur le plan idéologique. Cet événement sera appelé les Trois glorieuses.

Eugène Delacroix âgé de 32 ans à ce moment-là, est déjà un peintre réputé. Comme une bonne partie de la population parisienne, il assiste à ce chaos. Voici ce qu’il écrit à son neveu :

“Trois jours au  milieu de la mitraille et les coups de fusil ; car on se battait partout. Le simple promeneur comme moi avait la chance d’attraper une balle ni plus ni moins que les héros improvisés qui marchaient à l’ennemi avec des morceaux de fer, emmanchés dans des manches à balai

Delacroix mettra trois mois pour créer cette allégorie de l’événement et sera exposée au Salon de 1831.

La composition

L’effet de victoire et de puissance dans ce sujet est renforcée par la composition pyramidale. La base étant les cadavres des vaincus, et en son sommet, la main tendue portant le drapeau de la France républicaine. Cette figure s’érige en monument. Cette composition très efficace a sans doute été inspirée par l’oeuvre de son ami Géricault Le Radeau de la Méduse, réalisée environ 20 ans auparavant.

L’iconographie

Delacroix parvient à un savant mélange entre le réel, la fiction et les symboles. Voici ce que dira la critique :

“Le buste dénudé avec son aspect érotique, la saleté de la peau et même les poils perceptibles sous les aisselles, montrent que cette déesse de la liberté est une femme du peuple, une poissarde, une Vénus des rues et non pas une comtesse du Faubourg Saint-Germain.”

Delacroix a choisi une femme du peuple comme porte-drapeau, n’ayant pas peur de marcher sur des corps pour défendre les grandes causes et guidant derrière elle une foule furieuse constituée d’hommes. Son bonnet phrygien fait référence à la révolution de 1789. Ses seins nus représentent la liberté, fondement même de la République. Cette représentation est si forte que cette image sera reprise sur les billets de banque de l’ancienne monnaie française, ainsi que sur les timbres de La Poste.

Elle est la seule femme parmi tous ces hommes, sa robe déchirée n’est pas sans rappeler les drapés antiques, le drapeau qu’elle tient fièrement illumine et ondule comme une torche, le visage lisse, son nez droit et ses petits seins nus, sont les preuves que pour représenter le pouvoir de la liberté, Delacroix s’est inspiré des déesses antiques.

Le peintre se trouve donc sous l’influence de l’antique, qu’il mêle à un sujet politique et contemporain. Etant témoin de cet événement, le peintre tient à y prendre part. Il se représente lui-même dans son rôle de garde national qu’il était. Le large pantalon noir et la ceinture rouge étaient propres aux artisans. Voici ce qu’il écrit à son frère :

“J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade… et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrais-je pour elle. Cela m’a remis de belle humeur.”

Ce jeune parisien, engagé spontanément et volontairement dans la bataille symbolise la révolte et le sacrifice de la jeunesse pour défendre une idéologie noble. Ce personnage sera repris 30 ans plus tard par Victor Hugo pour la représentation de Gavroche dans Les Misérables.

Le personnage à terre, portant les couleurs de la République, est usé par le combat, mais à la vue de la Liberté il se redresse.  

Les tours de Notre-Dame sont représentées sur la partie droite du tableau, cela permet de situer l’action à Paris. Même si les maisons entre la cathédrale et la Seine sont imaginaires, ajoutées volontairement par l’artiste. 

La lumière et les couleurs

La lumière semble venir du fond de la scène, formant alors comme un halo autour de la Liberté et illuminant le drapeau tricolore. Les couleurs dominantes sont le rouge, le bleu et le blanc. Le blanc de cette ambiance enfumée unifie le sujet (Consulter l’article : Peindre comme Delacroix et les peintres du XIXe siècle).

L’étude complète de cette oeuvre est immense, les ressources ne manquent pas sur le net. Cette oeuvre est devenue le symbole de la liberté par le traitement du sujet, et de la révolution picturale par son réalisme. A cette époque, les sujets contemporains avaient un traitement classique. Ici le peuple est glorifié grâce à la noblesse de ses actions. Le tableau fut acheté par Louis-Philippe en personne, mais le conserva en toute discrétion… Il a fallu attendre 1863, soit 32 ans plus tard, pour que le musée du Luxembourg en face acquisition, puis 1873 par le Louvre.

Cette oeuvre est non seulement le symbole de la liberté, mais elle est la preuve de la puissance d’influence qu’un artiste peut avoir. La force d’un artiste se trouve dans sa liberté de penser, l’originalité de son interprétation et la puissance de ses émotions. Près de deux siècles après, cette oeuvre semble plus actuelle que jamais.

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EUSTACHE
Invité
07/12/2018 16:47

Superbe évocation ! Il me revient cette phrase de Victor Hugo (je cite de mémoire) : “Sauvons la Liberté, la Liberté fera le reste…”. OUI, le peintre est aussi un passeur de Liberté ! Un Grand Merci à vous !

Bernard Poulin
Invité
27/11/2015 15:15

Chère Christine, en si peu de mots vous dites une grande vérité. Nous les Canadiens ne semblons toujours pas éveillés aux tumultes dictatoriaux des dernières 10 années qui auraient pu détruire le tout de notre démocratie. Il s’agit donc à tous ceux et celles qui ont vécu les conséquences de n’importe quelle idéologie néfaste de se souvenir de son agir et de son fondement de haine et d’insouciance pour enfin l’éviter dans le futur. La phrase clé : Il ne faut jamais oublier.

PHALIP
Invité
19/11/2015 14:46

Citer et rappeler DELACROIX est toujours évocateur, que nous soyons esthète avisé, amateur pertinent ou professionnel reconnu. Parler de son fameux journal devrait inciter tous les pratiquants ne l’ayant pas parcouru à le faire sans tarder. Mais il faut aussi mentionner son “Dictionnaire des Beaux-Arts”, comme ouvrage de référence pour les passionnés de peinture. Quelles que soient la subjectivité, certaines erreurs de jugement ou d’interprétation de ce grand artiste sur des faits, personnes ou sujets de l’époque, ce livre constitue une mine inépuisable d’enseignements et renseignements sur les arts, ainsi que des remarques et exposés techniques dont on peut faire son miel en permanence.

christine
Invité
16/11/2015 17:31

Merci pour ce rappel de l’Histoire de l’Art. Il est si important de rappeler les faits, car qui ne connait son histoire ne peut préparer son avenir;
Ne jamais oublier que la Liberté n’est pas un cadeau mais un combat de chaque jour, il est si facile de la perdre.